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7 mai 1842 - 7 mai 2018, 176 ans de construction d’une bombe sismique à Cap-Haitien.

Publié le par Marco Geo

(l’explosion qui s’éloigne s’avance,  Cap-Haitien (lakayanm) chronique d'une catastrophe annoncée)

Introduction

Comme le temps était pur et calme le 12 janvier 2010 à Port-au-Prince dans la matinée, la ville du Cap-Haïtien, le 7 mai 1842, suivait son cours diurne. Aucune alerte n’a annoncé qu’il y aura eu un séisme. Soudainement, vers 5 heures et demie de l’après-midi, comparable au bruit d’un tonnerre souterrain, de violentes secousses sismiques ont secoué presque toute l’ile d’Ayiti.

L’objectif de ce papier consiste à retracer ‹‹l’évènement››, à expliquer de façon exhaustive le processus de la construction d’une nouvelle catastrophe à Cap-Haïtien depuis sa reconstruction jusqu’à aujourd’hui et à faire comprendre aux acteurs que le prochain séisme sera plus catastrophique si aucune politique efficace de gestion des risques et des catastrophes n’est mis en place.

1-      Séisme, tsunami, incendie et pillage: une catastrophe plus que naturelle.

Ce séisme, selon Thomas Madiou, a détruit toutes les villes situées sur la côte atlantique. ‹‹Tout cela avec un bruit sans nom, grondant au milieu d’une buée épaisse sortie des murailles brisées et qui s’épaississent de plus en plus était devenu un nuage noir, lugubre, comme ceux des grosses tempête sur mer, et bientôt sillonnée comme eux de lueurs rouges, ardentes, agitées en tous les sens», a expliqué Demesvar Delorme. Les agglomérations comme le môle Saint Nicolas, Port-de-paix et fort-liberté sont anéanties. Durant environs 6 minutes, les secousses ont fait des dégâts à Port-au-Prince, à St Marc, et aux Gonaïves. Mais, la ville du Cap-Haïtien était la plus touchée du pays. Elle est déjà transformée en ruine dès la première grande secousse qui n’a duré que quelques secondes. La quasi-totalité des bâtiments publics et collectifs, des maisons privées se sont effondrés. Les secousses sismiques secondaires, les répliques, duraient plus qu`un mois, ce qui poussait la population à dormir durant tout ce temps dans la rue et dans certains édifices qui ont résisté.

En plus de ce séisme, un tsunami bien qu’il était de faible envergure, a envahi toute la zone assurant la fonction commerciale de la ville, le bord de mer. Une vaste tache noire de déchets s`est étalée sur bande côtière tout en dégageant une odeur puante sur la ville.

Et, comme le soir arrivait, la majorité des familles utilisait le feu pour se préparer la soupée. Ce qui fait qu’une importante incendie s’abat sur la ville déjà en ruine. Ce qui fait que certains survivants coincés sous les décombres qui attentaient le secours allaient être après carbonisés. Les rescapés formaient des groupes dont certains priaient et d’autres pleuraient ou hurlaient de douleur du fait de leurs graves blessures et/ou de leurs brulures.

Dans ce contexte catastrophique où l’ordre militaire ne tenait plus, surtout le général Charier et Leconte qui étaient les commandants respectivement de l’arrondissement et de la place étaient blessés, les bandits restauraient la loi du pillage en usant de leur atrocité. Selon Thomas Madiou (1843), ‹‹les habitants des campagnes environnantes se précipitèrent vers la ville, pillant, égorgeant et ne songeant pas à soulager les maux des victimes. L`on vit des hommes transformés en bêtes sauvages couper les mains des blesses pour emporter les bagues qui la garnissaient, couper les cuisses pour enlever les bottes. Dans les ruines des maisons, tout fut pillé››. Il est sans conteste que ces pratiques inhumaines ont coûté la vie à beaucoup de ceux qui n’étaient pas encore morts. Puisque, ceux qui attendaient le secours au feu et/ou sous les décombres se voyaient au contraire méprisés et  parfois attaqués par des animaux à morphologie humaine pour le dépouiller de ce qu’il possède. Le temps n’était pas vraiment au secours. Des employés et fonctionnaires publiques, tant de l’ordre civil que militaire, dévastaient à main armée les restes de la ville, a écrit Thomas Madiou (op.cit).

En conséquence, le bilan humain était lourd. Plusieurs milliers de personnes ont été ensevelies sous les décombres de leurs maisons, environ la moitié de la population capoise (5 000). Le Poète jules-solime Milscent était compte parmi ces morts. Les survivants qui poussaient des cris terrifiants sous les décombres ou sous les ‹‹Kay boule›› se sont vus après amputés d`un bras ou d`un pied, parfois des deux. A part des places publiques et de la fossette qui recevaient en grand nombre les rescapés, les zones rurales étaient par excellence leur lieu d`accueil. Par manque de matériel, beaucoup de corps inertes sont restés sans inhumation pendant quelques jours. Le paysage de la ville du Cap-Haïtien était visuellement marqué par la ruine. L’auditif, par des cris de douleur et de peine. Et, l’olfactif était cadavérique. La ville, par crainte d’une épidémie, était mise en quarantaine par l’Etat central dirigé par le président Jean Pierre Broyer qui se montrait impuissant face à la situation de désordre qui régnait dans la métropole du Nord.

Sur le plan infrastructurel, les rues et les routes sont graves endommagées. ‹‹Le sol s’entrouvrit de toutes parts en longues crevasses mais peu larges, ayant la plupart, la direction du nord au sud et quelquefois croisées par des fissures perpendiculaires››, selon le témoignage de Monseigneur Constant Hillion cité par Charles Dupuy (2008).

Economiquement, il s’agit d`un marasme. On n’arrivait pas à évaluer les pertes économiques avec précision. Mais, plus de 30 % du PIB du pays pourrait être perdu. Toutes les activités commerciales étaient dysfonctionnelles à cause de l`effondrement des centres commerciaux, des magasins et des boutiques, et de la destruction du port. Ce qui fait que tout son trafic maritime a été détourné vers la ville des Gonaïves. En outre, le pillage du trésor public perpétré par des hommes de haut rang trois jours après ‹‹l`évènement›› affaiblissait encore plus l`économie.

Sur le plan des relations interterritoriales, aux échelles nationale et internationale, la ville du Cap-Haïtien était quasi-totalement livrée à elle-même. Pour répéter Charles Dupuy (2008), ‹‹les capois affrontèrent presque seuls toutes ces grandes épreuves morales et matérielles qui les accablaient››. Ils étaient certes exemptes des impôts locatif et foncier, de droit de patente par une loi votée par le parlement. Mais, l’Etat central se trouvant dans des situations difficiles suite à l’acceptation de l’ordonnance française qui l’a contraint à payer son indépendance - 38 ans après-, sans compter les dissensions internes, n’arrivait pas à apporter un secours substantiel à Cap-Haïtien. Il est important de rappeler que, selon les dires de l’éminente professeure Gusti-Klara Gaillard (2008), malgré cette catastrophe, la France a demandé à Haïti à s’acquitter de la tranche qu’elle doit avancer dans le cadre de la dette de l’indépendance. Ce fut une secousse diplomatique qui secouait avec plus de force tout le pays après les secousses sismiques.

2-      D’une mauvaise gestion de la catastrophe à la construction d`une nouvelle.

 Il est sans conteste que la gestion de la reconstruction post-sismique mauvaise. La reconstruction de la ville consistait seulement en la réparation des dommages et la remise en état des biens matériels. Et, il revenait à la population délaissée et appauvrie de se donner une maison sur les ruines de l’ancienne ville, une pratique continuelle après le désastre succédant. Il a fallu attendre deux ans après pour que la ville ait reçu cinquante mille gourdes pour le déblayage des rues et la reconstruction du port.

Marc Péan (1978) dans ‹‹L’illusion héroïque›› a évoqué certains grands travaux opérés dans la ville du Cap-Haïtien, après plus de 40 ans, ont modifié l’aspect physique de la ville. Mais, ils étaient globalement relevés des initiatives privées ou personnelles. Ce qui pose un problème de planification urbaine. Et, les actions de l’Etat étaient encore exécutés par des tierces: «Suivant leur coutume (les hommes d`Etat) de l`époque, leur réalisation (travaux) sera confiée à des particuliers, très proches du gouvernement » écrit-il.

Dans «La ville éclatée», Marc Péan (1993) a relaté certes la beauté architecturale de la ville. Mais, l’étroitesse des rues, la structure des logements; globalement sans galerie, sans fenêtre; les grandes maisons en brique et en bois qui s’agrandissent verticalement et horizontalement d’étage en étage, expriment la non prise en compte du parasismique à cette époque jusqu'à aujourd’hui. Est-ce l’oubli ? L’inexistence ou l’inapplication des lois édictant les normes de construction ? La banalisation ou l’ignorance du risque sismique?  Ce mode d’aménagement ne fait qu’aggraver la vulnérabilité de la ville, notamment du centre.

2.2.-  Urbanisation précaire, production d’une bombe à destruction massive.

La densification et l’étalement urbains, en dehors des cadres règlementaires, ont de plus fragilisé la ville du Cap-Haïtien. La profération des quartiers précaires depuis la deuxième moitié 20 ème siècle comme La Fossette, La boule, En bas ravine, Fouk a Poul, Monte pa Desann; renforcent l’extension du bâti et la densité de la population.  A l`orée du 21 ème siècle  ‹‹le paysage urbain donne globalement l’aspect d’une vaste tâche urbaine qui s’étale vers les mornes à l’Ouest, les plaines alluviales inondables et parfois marécageuses à l’Est, et au Sud s’avance vers la mer au Nord par le processus ‹‹ faire terre ››, a écrit Louis-Marc (2017). Dans les périphériques, les cités du peuple, Blue Hills, Zoe Vincent, fort Saint-michel, Petite-Anse… en fonction de la qualité du sol, des constructions, de la densité, des étroites rues déjà bloquées par des voitures en temps normal, risquent d'être ruinées. Au centre-ville, la transformation des maisons de bois en béton tout pour gagner de l'espace en largeur et/ou en hauteur constitue un facteur aggravant. Les balcons ceinturant les rues étroites dont quelques-uns sont déjà incendiés tout en restant débout, obstaculiseraient les secouristes en cas de séisme.

Conclusion

 Le ‹‹mal-aménagement›› du territoire capois, la mauvaise gestion du risque sismique, entre autres, caractérisés respectivement par l`urbanisation incontrôlée et précaire, et par l`inexistence effective d`un plan de prévention du risque, de programme efficace de formation et de sensibilisation, d`un système d`alerte, d`un plan de secours et de contingence, ont inscrit la ville dans une vulnérabilité de plus en plus élevée. Les bâtis par rapport à leur structure ne pourraient, parait-il, résister à des secousses de très faible magnitude et sans enregistrer des dégâts catastrophiques.  Et, pour l’échelle 8 que l’on prévoit dans le nord, l’énergie qui sera égale à 900 bombes atomiques (Préptit, 2017). Donc, si rien est fait, ‹‹l`évènement›› pourrait être plus catastrophique.

 

Bibliographie

Manigat M., (sous la dir.), 2008, Cap-Haitien excursions dans le temps, voix capoise de la diaspora, Educa Vision, Floride.

Péan M., 1978, L'illusion héroïque: 25 ans de vie capoise, 1890-1915,  Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince.

Péan M., 1993, La ville éclatée : décembre 1902-juillet 1915, Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince.

Pierre L.M., 2017, Cap- Haïtien entre développement et dysfonctionnement urbains, Le national, Port-au-Prince.

Pierre L.M., 2017, Vers la validation d’un plan de prévention des risques urbains pour la ville du Cap-Haïtien, Le national, Port-au-Prince.

 

Pierre Louis Marc

 

PHD.C, Historien et Géographe

Marcogeo10@yahoo.com

 

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